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Ecrire (avec) le moyenâge
4 juin 2015

Quand l'atelier d'écriture remonte le temps : Ecrire (avec) le moyen âge

Organiser un atelier d'écriture en ancien français... c'est l’idée singulière qui a germé dans la tête de Valérie Naudet, professeur de langue et littérature médiévales à l'université d'Aix-Marseille et dans celle de Jean-Marc Quaranta, qui est aussi l'auteur de ces lignes, maître de conférences en littérature française (XXe-XXIe siècles) et création littéraire.

Culturellement, c'était aller vers un choc au moins aussi violent que celui des armes dans les joutes médiévales : d'un côté un outil d'approche iconoclaste du fait littéraire qui commence par l'écriture pour aller autrement vers la lecture, une démarche profondément ancré dans la post-modernité, et disons-le, tournée aussi vers le jeu ; de l'autre un état de langue perçu comme lointain, archaïque, souvent rebutant pour les étudiants.

Il y avait de quoi flatter l'incrédulité légitime de certains.

C'était oublier qu'une ou deux choses essentielles relient l'atelier d'écriture et le moyen âge : la langue et l'écriture. Dans les deux cas on écrit et on joue avec la langue, il suffisait de croire à cela-même qui donne sens à notre recherche et à nos enseignements ; rien que de naturel, quand on y pense.

Dans une réelle démarche interdisciplinaire, le jeu et l'enjeu consistait à envisager comment écrire pouvait aider à aller vers le moyen âge et comment le moyen âge pouvait accompagner une pratique de l'écriture. Le voyage dans le temps proposé aux étudiants n'était pas un aller simple mais bien un aller-retour, un va-et-vient d'une langue à l'autre, d'un temps à l'autre, sur le fil de la langue et de l'écriture.

Pour corser la pratique des funambules, il a fallu qu'au voyage dans le temps s'ajoute le voyage dans l'espace : une dizaine d'étudiantes taïwanaises sont venues se joindre à la dizaine d'étudiants de L3 de lettres modernes, pour créer un cours en quatre dimensions.

Heureusement, l'écriture est un bien solide qui allait permettre de voyager en tous sens...

L'écriture, c'est-à-dire les processus, non l'idée platonicienne d'un souffle divin qui s'empare de celui qui écrit car un dieu l'a élu et qu'une Muse l'inspire. Plus proche d'Aristote, il fallait songer à imiter, non pas l'écriture de l'autre, comme on le fait dans le pastiche, mais le processus, les manières d'écrivains des hommes du moyen âge, leur rapport particulier au texte, du moins tel qu'on le connaît.

Cet atelier s’inspire donc de différents processus qui semblent à l’œuvre dans la production des textes médiévaux. Pour prendre l’exemple concret de La Pise d’Orange qui était l'œuvre au programme, Henri Grégoire a proposé, vers 1950, d’expliquer, par la théorie des monuments inspirateurs la genèse de ce texte[1]. Il voit dans ce texte, une légende issue des monuments de la ville dont les hommes du moyen âge avaient perdu le sens et oublié l’histoire. C’est donc à partir de l’arc de triomphe de cette ville qu’ils déplacent vers le Rhône la figure réelle de Guillaume de Toulouse. La mémoire de l'occupation d’Orange par les Sarrasins dans la première moitié du VIIIième siècle et après l’an mille fournit un cadre plausible pour expliquer les monuments et leurs sculptures.

Une partie de l'atelier s'est donc appuyé sur les images des monuments d’orange dont les étudiantes taïwanaises ont dû inventer à leur tour l'histoire, comme ces quasi Gaulois qui n'étaient pas leurs ancêtres. Pour faire bonne mesure, les étudiants français étaient invités à travailler sur des monuments taïwanais.

L'atelier s'est vite transformé en scriptorium, chacun allant comme il le pouvait à la recherche de la culture de l'autre dans l'espace et le temps. Comme dans un scriptorium, autant qu'on l'imagine, les textes se sont enrichis. D'abord du travail collectif sur la langue française moderne. Les étudiants français faisant leur premières armes d'enseignants en reprenant leur camardes des antipodes, et découvrant ainsi aussi leur langue.

Ensuite, le groupe a procédé comme au moyen âge en jouant sur les additions, l’incertitude du texte, les échos, les lacunes, les phénomènes de résumés et d’amplification, qui sont à l'œuvre dans la genèse toujours composite du texte médiéval. Jean Frappier[2] liste une série de procédés et de processus qui donnent naissance à un texte médiéval qui heurte nos habitudes modernes, mais rejoint à l'échelle collective la pratique souvent méconnue des écrivains moderne, qui sont bien davantage les réécrivains d'eux-mêmes que les auteurs spontanés de leurs textes, comme nous l’apprend la génétique des textes.

Les étudiants se sont donc emparés des textes de leurs camarades, développant un épisode, introduisant un nouveau personnage, développant la psychologie d’un autre[3]… Une fois surmontée la difficulté pour un scripteur moderne à s'emparer du texte d'un autre, ils ont goûté le plaisir qu'il y a le faire et vu comment le texte y gagne : par-delà le temps, l'espace, l'individu, c'est l'écriture et l'écrit qui subsistent et existent dans ces façon de faire d’un temps où l’auteur n’était pas mort, car il n’existait pas, tout simplement.

Tout n'a pas pu être exploré dans le cadre des deux heures hebdomadaires du premier semestre, et il reste à l’expérience un goût d’inachevé, qui est aussi le lot de qui écrit.

Avant cette aventure, des exercices d'appropriation avaient précédé : pastiche, traduction, caviardage, écriture à contrainte, écriture en ancien français...

Ce blog consigne la trace de ces travaux menés par les étudiants avec beaucoup de bonne volonté et, on l'espère, de plaisir !

Avant de proposer de parcourir les textes, il reste à remercier les étudiants qui les ont écrits :

HSIN-YI HUANG, PEI CHUN LIAO, YU YING LIN, MEI-FANG LING, FLORIAN LOPEZ, YUN-ZHU WANG, MATHIEU RODRIDE

CHARLOTTE SAVY, LIN HUI TSENG, Célia Le Berrigaud, ANAÏDE VERGINELLI, Fortin Cyril


[1] « Les Monuments inspirateurs. Comment Guillaume de Toulouse devint Guillaume d’Orange » Provence historique, Archives départementales de Marseille, tome I, 1950, p. 32-44.

[2] Frappier Jean, Les Chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange, SEES, Paris, 1967, 3 volumes.

[3] Ibid. p. 290, 295, 302.

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Ecrire (avec) le moyenâge
  • Ce blog présente les textes écrits par les étudiants de l'université d'Aix-Marseille au cours de l'atelier d'écriture "Ecrire (avec) le moyen âge, animé par Jean-Marc Quaranta, au premier semestre 2014-2015
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